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– 009 La valeur de la dette

Il y a une question que nous ne cessons d’avoir entre nous à hotium et avec nos clients. Il s’agit d’essayer de comprendre pour quelles raisons, alors que les banques centrales font exploser la masse monétaire, on ne voit pas une dévaluation terrible des monnaies, et donc un choc d’inflation. Il ne s’agit pas d’une question purement et bassement pécuniaire. Il s’agit au contraire d’une interrogation sur le système dans lequel vivons. Il s’agit d’une question philosophique dans la mesure où l’on s’interroge sur la valeur (en l’occurrence monétaire, car nous sommes dans un système monétaire aujourd’hui qu’on le veuille ou pas) des choses.

La première caractéristique de la monnaie, selon Aristote, c’est la conservation de la valeur. Contrairement au grain de blé, par exemple, que la nature peut dégrader, l’or reste identique à lui-même dans le temps.

L’or a-t-il une valeur intrinsèque ? Il va de soi que les lingots d’or en dépôt sur une planète inhabitée sont de peu d’importance pour nous et que leur valeur, de ce fait, est plus que problématique. Selon Pythagoras : « l’homme est la mesure de toute chose ». « Une chose » n’a pas de la valeur en soi, et mais par rapport au système philosophique, politique, légale et culturel dans lequel l’homme l’a placée et interprétée.

Concernant notre planète et notre histoire, il est plus qu’évident que l’or, et d’autre métaux, permettant la conservation de la valeur, ont pris une place bien à part. Si une graine a la caractéristique de pouvoir être digérée et de nous nourrir ; l’or a celle de ne pas pouvoir l’être et de rester identique à lui-même dans le temps. Ces métaux sont devenus précieux.

Pour quelle raison ? Non pas à cause d’une valeur intrinsèque, mais du fait qu’une de leur caractéristique – la faculté de rester identique à soi-même, de ne pas se dégrader – a été interprétée et utilisée par les hommes pour organiser le système dans lequel ils vivent. L’or permettait d’acheter des biens et de payer ses dettes.

Qu’en est-il aujourd’hui ? L’évolution des banques centrales durant les deux derniers siècles, avec la fin des accords de Bretton Woods en 1973, a changé définitivement le système. L’or a des caractéristiques historiques, culturelles, symboliques et naturelles qui en font un récipient pour conserver la valeur, mais il ne permet plus, directement du moins, d’acheter des biens et de payer des dettes. Il doit être converti dans une monnaie avant de pouvoir être efficace dans notre système.

La valeur d’une monnaie se définit notamment en relation avec sa capacité à pouvoir payer les dettes dans cette monnaie. Dés lors, et aussi longtemps que le cadre légal est respecté, que les symboles persistent et que le système perdure, nous pensons que plus il y a de dettes dans une monnaie, plus cette monnaie aura de la valeur.

Pour quelle raison ? Car pour pouvoir se libérer de la dette, il faut soit la payer, soit faire défaut. Faire défaut, cela signifie précisément sortir du système définit, briser le symbole, et modifier le cadre légal. Payer, c’est chercher et trouver la monnaie pour pouvoir répondre à ses obligations en honorant les intérêts et le montant de la dette.

Plus il y de dettes dans le système, plus il y a de monde – des privés, sociétés, états – qui cherchent la monnaie pour répondre à leurs obligations. Ils se battent littéralement entre eux pour avoir la monnaie qui leur permette de payer leurs dettes et les intérêts sur celle-ci. Et cette monnaie prend, dans ce cadre légal et ce système définit, de plus en plus de valeur.

Peut-être que les banques centrales se trouvent petit à petit en face d’un immense problème. Elles n’arrivent pas ou plus, sans contredire leurs mandats, à injecter et insérer dans le système assez de monnaie pour répondre à l’immense dette actuellement dans ce système et continuant son expansion.

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– 008 Oxymoron de la BCE

Le Bilan de la BNS, à fin septembre, pourrait être miraculeux tellement le ratio de fonds propres sera élevé. Dans notre Poste du 22 août, nous parlions de deux aspects particuliers du bilan de la BNS, à savoir son ratio de fonds propres, > 15% alors que la BCE (Banque Centrale Européenne) n’a que 3%, et la taille relative de son bilan, équivalent à 70% du PIB Suisse, alors que celui de la BCE n’est « qu’a » 35% du PIB de la Zone Euro. La BNS a donc un risque majeur dans la taille de son bilan et une protection significative dans le niveau de ses fonds propres.

Hier, M. Draghi, président de la BCE, a annoncé un oxymoron qui a grandement détendu les marchés. Il nous a parlé d’un programme de rachat illimité, stérilisé et avec des conditionnalités, de la dette à court terme de pays de la ZE. Reprenons ces trois points : Illimité, car il nous dit qu’il ne laissera pas le taux de financement à court terme (< de 3 ans) de ces pays s’envoler et qu’il est prêt à acheter sans limite cette dette; stérilisé, car il nous dit qu’il ne va pas augmenter le bilan de la BCE, n’injectant pas de nouveaux Euro dans le système, mais vendant des parties du bilan de la BCE pour faire ces achats ; Conditionnalité, car les pays qui veulent profiter de ce programme doivent faire une demande formelle et se soumettre au programme que leurs partenaires pourront leur imposer.

C’est un oxymoron de parler d’achats illimités stérilisés, car par définition, si ces achats sont stérilisés, le bilan n’est pas augmenté. Et comme le bilan n’est pas infini, ces achats ne peuvent pas l’être.

Mais la BNS, durant ces contorsions de la BCE, voit la pression sur le CHF se détendre. L’Euro grimpe, tellement qu’il se décolle du plancher de 1.20 pour monter à 1.209 ! C’est une variation minime. Mais pour une BNS qui a acheté massivement des Euro à moins de 1.2 pour défendre ce taux durant les deux derniers mois, c’est la possibilité de faire un gain énorme en réduisant son bilan.

Peut-être qu’à fin septembre, la BNS aura prêt de 20% de fonds propres et un bilan équivalent à 50% de la taille du PIB Suisse. Le CHF et la BNS elle-même n’en seront que plus forts pour confronter la prochaine vague de stress sur l’Euro.

– 007 Eau douce – Eau salée

Pour quelles raisons un client viendrait-il mettre une partie de son patrimoine mobilier en Suisse ? Ce patrimoine, par définition, est mobile. Comme l’eau, il cherche un lieu naturel d’équilibre, suivant les pentes et la loi du moindre effort, formant des rivières petites et grandes pour arriver à des lacs, souvent des mers, presque toujours un océan. Puis le cycle recommence.

La Suisse, château d’eau de l’Europe, n’a d’accès à la mer qu’indirectement, au travers des deux fleuves que sont le Rhin et le Rhône. C’est un handicap et une chance inouïe. Grâce à ces fleuves, la Suisse est connectée aux liquidités internationales tout en restant en partie isolée des océans des capitaux. Elle n’a que de l’eau douce, paradoxe fertile et naturel, dans un univers d’eau essentiellement salée. Le mélange des eaux se fait aux frontières de l’Europe.

Est-ce une image pertinente pour parler du flux des capitaux et de la place financière Suisse ?  Nous le croyons. Nous pensons que la Suisse à tout à gagner en prenant exemple sur son système fluvial pour repenser son système financier. Il ne s’agit pas ou plus de construire des lieux secrets et souterrains à l’abri des regards. Il s’agit de construire des barrages, à l’air libre, pour que les liquidités puissent jouer leurs rôles : Une réserve d’eau potable, une source d’énergie et un outil pour construire notre indépendance tout en restant connecté dans le monde.

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– 006 Delirium Tremens

En 1978, alors concepteur du projet de la montre ultrafine à l’ETA SA Manufacture Horlogère, Maurice Grimm ne parvient pas seulement à battre les Japonais sur leur propre terrain, créant une montre quartz extra plate de moins de 1 mm d’épaisseur (0.98mm), il illumine également sa création par un acte linguistique aux significations multiples.

Delirium tremens « très mince », jeux de mot en français, réduit ensuite simplement à Delirium en vue de la commercialisation internationale des 11’000 pièces vendues à CHF 4’500.-/pièce, résume parfaitement le climat de l’horlogerie de l’époque.

Il fallut tout d’abord un acte presque dionysiaque de folle création pour sortir l’horlogerie de son marasme de l’époque. Après les belles années d’après-guerre, l’horlogerie suisse se confronte à la concurrence japonaise qui conquiert le marché grâce au quartz. Les mouvements mécaniques traditionnels ne peuvent concurrencer cette nouvelle technologie qui apporte minceur et modernité à l’industrie.

Dans un acte de création délirante, l’ETA SA Manufacture Horlogère décide de se battre sur ce nouveau terrain. Six mois plus tard, ayant révolutionné le design intérieur et utilisant le fonds de la montre comme support des composants, la Delirium voit le jour. C’est un coup de génie, un record du monde et un nouveau départ pour l’industrie horlogère Suisse. La Swatch sera basée sur le même mode de conception.

Mais Delirium tremens, c’est avant tout une conséquence neurologique sévère du syndrome de sevrage d’alcool, provoquant délire et tremblement des membres. On peut se demande dans quelle mesure l’horlogerie Suisse n’a pas trouver son renouveau dans le sevrage que lui a imposé la concurrence internationale. Elle a du sortir des chemins traditionnels et bien tracés. Elle a du souffrir, se concentrer et se recréer dans un acte de folie créatrice.

Et l’industrie bancaire ? Quelle sera son Delirium Tremens ?

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– 005 Hildebrand

Tout change et c’est bien ainsi. Il y 20’000 ans le Léman n’était qu’un amas de glace formant la région. Il y a 2’000 ans un rocher calcaire se transformait en un point stratégique, avant de devenir un point de taxation pour le commerce Nord-Sud sous les Savoyards, puis un entrepôt sous les Bernois avant de se muter, de nos jours, en symbole de la région et en haut lieu touristique. Tout change, et Héraclites aurait pu dire qu’on ne voit jamais deux fois les mêmes eaux dans le Léman…

Lors de son interview à la RTS, que je ne peux que recommander, Philipp Hildebrand mentionne à plusieurs reprises les transformations fondamentales du monde dans lequel nous vivons aujourd’hui. Parlant de l’avenir du secteur bancaire Suisse, il ose poser, comme hypothèse de réflexion, précisément ce que redoute tant de gestionnaires et de banquiers :

« … ce qu’on devrait faire comme pays, et notamment comme système bancaire, c’est de partir avec l’hypothèse – c’est une hypothèse – de dire [que] d’ici 5 ans, peut-être d’ici 10 ans, un client qui vient en Suisse de l’étranger, qui ouvre un compte pour qu’on gère son patrimoine, le nom de ce client et la date de l’ouverture et l’endroit de l’ouverture du compte, va être livré automatiquement au trésor du pays de ce client potentiel… »

Il prend l’image de l’horlogerie, qui dans les années 80 perdit 70’000 emplois, voyant des villes comme Bienne perdre jusqu’à 20% de leur population, avant de renaître et de devenir plus forte que jamais. Sommes-nous à une telle époque pour le secteur bancaire Suisse ? Peut-on comparer la manufacture horlogère Suisse avec la manufacture bancaire Suisse ? L’horlogerie Suisse n’a pas le monopole de la recherche dans le domaine, ni des matériaux, ni des idées, pourtant elle prospère comme si elle était seule au monde. Quelle est son secret ?

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– 004 L’autoroute du Valais

Le confédéré_10juillet1964

Ah ce fameux passage du Chillon! 10 juillet 1964, on est en plein dans l’étude du tronçon de l’autoroute du Valais. Les batailles politiques font rages et l’on ne sait pas encore quelle forme prendra exactement cette artère, si familière de nos jours, qui alimente le Valais.

« … on vient d’apprendre qu’une décision a été prise pour le passage délicat du Chillon. On parlait d’un tunnel ou d’un viaduc. L’exposition des premières études de l’autoroute du Valais qui s’est ouverte lundi à l’école polytechnique de l’université de Lausanne a permis à M. Dubochet, ingénieur en chef du bureau des constructions des autoroutes, d’annoncer que la solution adoptée était le viaduc. Encore un point d’acquis. Petit à petit se dessine la forme définitive de ce passage-clé le long du Léman, dont l’importance, pour nous, est d’une incalculable valeur. » (Gérald Rudaz)

Pour franchir le viaduc en voiture, de Lausanne à Aigle en contournant les villes au bord du lac, il faudra attendre 1970. Et la vue est si fantastique, surtout au sortir du Valais lorsque l’on prend de l’altitude et qu’on découvre l’immensité du Léman, qu’on en viendra à comparer le trajet au vol d’une buse le long du flanc de la montagne.

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– 003 Le rocher calcaire

Là où la montagne plonge dans le lac, point stratégique séparant les voies d’accès menant rapidement au Sud de celles desservant le Nord, un rocher calcaire d’une centaine de mètres émerge à la surface de l’eau. C’est une sorte de paradoxe. Alors que la montagne escarpée qui forme la berge du lac coupe la voie d’accès, le lac offre un îlot plat propice à la construction.

Les Celtes, les Romains, les Savoyards puis les Bernois et les Vaudois, tous à leur tour ont bien compris l’étrangeté de cette formation naturelle si riche en possibilités. Lieu de défense, lieu de contrôle, lieu de gestion administrative, lieu de taxation du transport de marchandises entre le Nord et le Sud, le rocher de Chillon a évolué durant plus de 2000 ans pour devenir le Château que l’on connait.

Dés l’époque du Grand Tour, lorsque les aristocrates Anglais surtout traversaient l’Europe pour parfaire leur éducation, le Léman était un passage obligé. Le Château était une source d’inspiration immense, notamment pour les Romantiques. Lord Byron et son célèbre Prisonnier de Chillon évoquant l’histoire de Bonivard, détenu de 1530 à 1536, n’en est qu’un exemple.

Aujourd’hui les touristes prennent leur ticket et viennent voir l’endroit quelques heures. C’est très beau disent-ils souvent. Voilà tout.

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– 002 Lacus Lemanus

L’orgine du nom du lac Léman est probablement celtique, (lem signifiant « grand », et an, « eau »), et elle nous est parvenu via le latin lacus Lemanus. César, venant combattre les Helvètes, part de Genava et du Lacus Lemanus.

Le développement de la cartographie, du IIe au IVe siècle, fait apparaître différents noms. Les villes qui bordent le lac sont utilisées pour le dénommer. Ainsi on trouve régulièrement lacu lausonio, lacus losanetes ou encore lac de Lozanne.

Avec la conversion de Genève au Calvinisme au XVIe siècle, la ville devient le centre de la région et le Lac de Genève fait son apparition. Même si ce terme est plutôt d’usage pour le petit lac, la partie inclue entre Yvoir, Nyon et Genève, la dénomination se généralise jusqu’au XIXe.

C’est François-Alphonse Forel, Médecin issue d’une famille de Magistrat du canton de Vaud et professeur d’anatomie et physiologie générale de 1871 à 1895 et de zoologie et anatomie comparée (1875-1895) à l’université de Lausanne, qui répandra l’usage de nommé un lac par son nom propre et non en fonction d’une ville de ses berges. Le lac devient « un individu géographique en lui-même et par lui-même. »

Aujourd’hui on parle de la « région lémanique », de « l’arc lémanique », quand bien même certaines villes veulent imposer leur nom sur la région. Le Léman, noblement couché dans son lit gigantesque, semble regarder tout ce tumulte qui l’entoure. Sans rien dire.

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– 001 La montée

Dans un coin de verdure au-dessus de la ville, deux jeunes hommes assis, les cheveux chahutés par le vent glissant des sommets, attendaient la tempête en silence. Les yeux plongés dans ce lac noir, furieux, superbe, ils s’étaient recroquevillés pour se défendre du froid et de la peur. Incapable de prédire ce qui allait arriver, ils étaient également incapables de contrôler leur regard et leurs pensées.

Lorsque les vents se lèvent et que la tempête se prépare, le lac hypnotise. Il y a une énergie mystérieuse dans cette étendue liquide sortant des montagnes et s’emparant de  l’horizon dans son croissant superbe. Toute cette région, formée jadis dans un fracas silencieux par un énorme glacier, creusant, broyant, poussant, avant de se retirer et de laisser l’eau remplacer la glace, toute cette région se réveille lorsque le vent hurle, lorsque la tempête claironne. Un noir profond du lac envahit la surface. Une immense pupille vous regarde.

Ils étaient arrivés là suivant un chemin qu’ils adoraient prendre. C’était une sorte de rituel. Partant de la ville au pied du lac, ils montaient par une gorge dans la forêt avant de passer sur un flanc de la montagne, de traverser un petit village assis sur une bute et de poursuivre une petite heure pour atteindre le sommet. La vue leur coupait toujours le souffle. Dans ce petit pays, un peu triste mais merveilleux, coincé au centre d’un fabuleux continent en proie à quelques tourments, ils trouvaient sur ce sommet de l’air à respirer.

C’est là-haut qu’ils partageaient leurs réflexions futiles et leurs lectures chaotiques sur le monde, la vie, la crise, l’avenir, la beauté et la culture – un moment d’otium entre amis.

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