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– 005 Hildebrand

Tout change et c’est bien ainsi. Il y 20’000 ans le Léman n’était qu’un amas de glace formant la région. Il y a 2’000 ans un rocher calcaire se transformait en un point stratégique, avant de devenir un point de taxation pour le commerce Nord-Sud sous les Savoyards, puis un entrepôt sous les Bernois avant de se muter, de nos jours, en symbole de la région et en haut lieu touristique. Tout change, et Héraclites aurait pu dire qu’on ne voit jamais deux fois les mêmes eaux dans le Léman…

Lors de son interview à la RTS, que je ne peux que recommander, Philipp Hildebrand mentionne à plusieurs reprises les transformations fondamentales du monde dans lequel nous vivons aujourd’hui. Parlant de l’avenir du secteur bancaire Suisse, il ose poser, comme hypothèse de réflexion, précisément ce que redoute tant de gestionnaires et de banquiers :

« … ce qu’on devrait faire comme pays, et notamment comme système bancaire, c’est de partir avec l’hypothèse – c’est une hypothèse – de dire [que] d’ici 5 ans, peut-être d’ici 10 ans, un client qui vient en Suisse de l’étranger, qui ouvre un compte pour qu’on gère son patrimoine, le nom de ce client et la date de l’ouverture et l’endroit de l’ouverture du compte, va être livré automatiquement au trésor du pays de ce client potentiel… »

Il prend l’image de l’horlogerie, qui dans les années 80 perdit 70’000 emplois, voyant des villes comme Bienne perdre jusqu’à 20% de leur population, avant de renaître et de devenir plus forte que jamais. Sommes-nous à une telle époque pour le secteur bancaire Suisse ? Peut-on comparer la manufacture horlogère Suisse avec la manufacture bancaire Suisse ? L’horlogerie Suisse n’a pas le monopole de la recherche dans le domaine, ni des matériaux, ni des idées, pourtant elle prospère comme si elle était seule au monde. Quelle est son secret ?

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– 004 L’autoroute du Valais

Le confédéré_10juillet1964

Ah ce fameux passage du Chillon! 10 juillet 1964, on est en plein dans l’étude du tronçon de l’autoroute du Valais. Les batailles politiques font rages et l’on ne sait pas encore quelle forme prendra exactement cette artère, si familière de nos jours, qui alimente le Valais.

« … on vient d’apprendre qu’une décision a été prise pour le passage délicat du Chillon. On parlait d’un tunnel ou d’un viaduc. L’exposition des premières études de l’autoroute du Valais qui s’est ouverte lundi à l’école polytechnique de l’université de Lausanne a permis à M. Dubochet, ingénieur en chef du bureau des constructions des autoroutes, d’annoncer que la solution adoptée était le viaduc. Encore un point d’acquis. Petit à petit se dessine la forme définitive de ce passage-clé le long du Léman, dont l’importance, pour nous, est d’une incalculable valeur. » (Gérald Rudaz)

Pour franchir le viaduc en voiture, de Lausanne à Aigle en contournant les villes au bord du lac, il faudra attendre 1970. Et la vue est si fantastique, surtout au sortir du Valais lorsque l’on prend de l’altitude et qu’on découvre l’immensité du Léman, qu’on en viendra à comparer le trajet au vol d’une buse le long du flanc de la montagne.

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– 003 Le rocher calcaire

Là où la montagne plonge dans le lac, point stratégique séparant les voies d’accès menant rapidement au Sud de celles desservant le Nord, un rocher calcaire d’une centaine de mètres émerge à la surface de l’eau. C’est une sorte de paradoxe. Alors que la montagne escarpée qui forme la berge du lac coupe la voie d’accès, le lac offre un îlot plat propice à la construction.

Les Celtes, les Romains, les Savoyards puis les Bernois et les Vaudois, tous à leur tour ont bien compris l’étrangeté de cette formation naturelle si riche en possibilités. Lieu de défense, lieu de contrôle, lieu de gestion administrative, lieu de taxation du transport de marchandises entre le Nord et le Sud, le rocher de Chillon a évolué durant plus de 2000 ans pour devenir le Château que l’on connait.

Dés l’époque du Grand Tour, lorsque les aristocrates Anglais surtout traversaient l’Europe pour parfaire leur éducation, le Léman était un passage obligé. Le Château était une source d’inspiration immense, notamment pour les Romantiques. Lord Byron et son célèbre Prisonnier de Chillon évoquant l’histoire de Bonivard, détenu de 1530 à 1536, n’en est qu’un exemple.

Aujourd’hui les touristes prennent leur ticket et viennent voir l’endroit quelques heures. C’est très beau disent-ils souvent. Voilà tout.

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– 002 Lacus Lemanus

L’orgine du nom du lac Léman est probablement celtique, (lem signifiant « grand », et an, « eau »), et elle nous est parvenu via le latin lacus Lemanus. César, venant combattre les Helvètes, part de Genava et du Lacus Lemanus.

Le développement de la cartographie, du IIe au IVe siècle, fait apparaître différents noms. Les villes qui bordent le lac sont utilisées pour le dénommer. Ainsi on trouve régulièrement lacu lausonio, lacus losanetes ou encore lac de Lozanne.

Avec la conversion de Genève au Calvinisme au XVIe siècle, la ville devient le centre de la région et le Lac de Genève fait son apparition. Même si ce terme est plutôt d’usage pour le petit lac, la partie inclue entre Yvoir, Nyon et Genève, la dénomination se généralise jusqu’au XIXe.

C’est François-Alphonse Forel, Médecin issue d’une famille de Magistrat du canton de Vaud et professeur d’anatomie et physiologie générale de 1871 à 1895 et de zoologie et anatomie comparée (1875-1895) à l’université de Lausanne, qui répandra l’usage de nommé un lac par son nom propre et non en fonction d’une ville de ses berges. Le lac devient « un individu géographique en lui-même et par lui-même. »

Aujourd’hui on parle de la « région lémanique », de « l’arc lémanique », quand bien même certaines villes veulent imposer leur nom sur la région. Le Léman, noblement couché dans son lit gigantesque, semble regarder tout ce tumulte qui l’entoure. Sans rien dire.

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– 001 La montée

Dans un coin de verdure au-dessus de la ville, deux jeunes hommes assis, les cheveux chahutés par le vent glissant des sommets, attendaient la tempête en silence. Les yeux plongés dans ce lac noir, furieux, superbe, ils s’étaient recroquevillés pour se défendre du froid et de la peur. Incapable de prédire ce qui allait arriver, ils étaient également incapables de contrôler leur regard et leurs pensées.

Lorsque les vents se lèvent et que la tempête se prépare, le lac hypnotise. Il y a une énergie mystérieuse dans cette étendue liquide sortant des montagnes et s’emparant de  l’horizon dans son croissant superbe. Toute cette région, formée jadis dans un fracas silencieux par un énorme glacier, creusant, broyant, poussant, avant de se retirer et de laisser l’eau remplacer la glace, toute cette région se réveille lorsque le vent hurle, lorsque la tempête claironne. Un noir profond du lac envahit la surface. Une immense pupille vous regarde.

Ils étaient arrivés là suivant un chemin qu’ils adoraient prendre. C’était une sorte de rituel. Partant de la ville au pied du lac, ils montaient par une gorge dans la forêt avant de passer sur un flanc de la montagne, de traverser un petit village assis sur une bute et de poursuivre une petite heure pour atteindre le sommet. La vue leur coupait toujours le souffle. Dans ce petit pays, un peu triste mais merveilleux, coincé au centre d’un fabuleux continent en proie à quelques tourments, ils trouvaient sur ce sommet de l’air à respirer.

C’est là-haut qu’ils partageaient leurs réflexions futiles et leurs lectures chaotiques sur le monde, la vie, la crise, l’avenir, la beauté et la culture – un moment d’otium entre amis.

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– Leisure and Idleness

Leisure and Idleness.  …” Even now one is ashamed of resting and prolonged reflection almost gives people a bad conscience.  One thinks with a watch in one’s hand even as one eats one’s lunch whilst reading the latest news of the stock market, one lives as one might always “miss out on something”.  “Rather do anything rather than nothing” : this principle too is just a noose to throttle all culture and good taste.  Just as all forms are visibly perishing by the haste of the workers, the feeling for form itself, the ear and eye for the melody of movements are also perishing.  The proof of this may be found in the universal demand for gross obviousness in all those situations in which human beings wish to be honest with one another for once – in their associations with friends, women, relatives, children, teachers, pupils, leaders and Princes : One no longer has time or energy for ceremonies, for being obliging in an indirect way, for esprit in conversation, and for otium at all.  Living in a constant chase after gain compels people to expend their spirit to the point of exhaustion in continual pretence and overreaching and anticipating others.  Virtue has come to consist in doing something in a shorter time than another person.  And so there are only rare hours of sincere intercourse permitted: in them, however, people are tired, and would not only like “to let themselves go,” but to stretch their legs out wide in awkward style.  The way people write their letters nowadays is quite in keeping with the age; their style and spirit will always be the true “sign of the times.”  If there be still enjoyment in society and in art, it is enjoyment such as over worked slaves provide for themselves.  Oh, this moderation in “joy” of our cultured and uncultured classes!  Oh, this increasing suspiciousness of all enjoyment!  Work is winning over more and more the good conscience to its side: the desire for enjoyment already calls itself “need of recreation,” and even begins to be ashamed of itself.  “One owes it to one’s health,” people say, when they are caught at a picnic.  Indeed, it might soon go so far that one could not yield to the desire for the vita contemplative, (that is to say, excursions with thoughts and friends), without self contempt and a bad conscience.  Well!  Formerly it was the very reverse: it was “action” that suffered from a bad conscience.  A man of good family concealed his work when need compelled him to labour.  The slave laboured under the weight of the feeling that he did something contemptible: the “doing” itself was something contemptible.  “Only in otium and bellum is there nobility and honour:” so rang the voice of ancient prejudice!”

From Friedrich Nietzsche, the Gay Science
329. Leisure and Idleness

 

– Comparer la Suisse à la Chine?

On m’a envoyé ce matin l’article de M. Santi. Article très amusant.

On y compare la Suisse à la Chine, annonçant d’un pied d’estale qu’elle profite égoïstement du marché européen, et qu’elle sera bientôt « en accusation par ses partenaires comme “manipulatrice” ». Il y a juste un petit problème avec cette supposition. En effet, pour qu’un tel argument soit valable, il faudrait au moins que la Suisse ait une balance commerciale positive avec l’Union Européenne, c’est-à-dire qu’elle exporte plus vers l’UE européenne qu’elle n’en importe, profitant ainsi d’une consommation étrangère pour son industrie, tout comme la Chine profite de la consommation américaine pour la sienne.

Mais voilà un des petits problèmes de cet article. La Suisse a justement une balance commerciale déficitaire avec l’UE. Chaque année elle importe pour 40 milliards de plus qu’elle n’exporte vers l’UE, soutenant ainsi la production européenne. Et c’est en exportant dans le reste du monde, notamment en Chine, avec laquelle la Suisse et l’un des rares pays occidentaux à avoir une balance commerciale positive, que ce petit pays peut engendrer les revenus qui lui permettent d’acheter des produits européens.

Ce qui est encore plus amusant, ou tragique, c’est qu’à cause de cette balance commerciale déficitaire, le CHF devrait naturellement se dévaluer face à l’Euro. Ceci améliorerait la compétitivité de la Suisse face à l’UE, lui permettant de rééquilibrer sa balance commerciale.

C’est tout même étonnant d’être un si bon client, qui soutient l’industrie européenne par ses achats, et de se faire traiter de « partenaire déloyale ».

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– La BNS jette-t-elle de l’argent par la fenêtre?

On nous parle sans cesse des folies de la BNS. Il paraît qu’elle a perdu la tête et qu’elle augmente son bilan de manière inconsidérée. 70% du PIB de la Suisse, quand la BoE, la BoJ et la BCE sont respectivement à 21%, 31% et 33% des économies qui les concernent !

Certes, mais parle-t-on de la qualité de ce bilan ? Alors que la BNS a un ratio d’endettement  de 6-1, soit plus de 15% de fonds propres, la BoE a un ratio de 109-1, la BoJ a 53-1 et la BCE a 35-1. Et de quoi est fait ce bilan ? Pour la BNS, d’obligations de première qualité de l’Allemagne, la Finlande, la Hollande.

De coup, s’il y a un miracle en Europe et que l’Euro grimpe, la BNS profite du miracle. Si l’Euro explose et qu’on revient à des monnaies nationales, la BNS est protégée contre le désastre.

Peut-être que Voltaire n’avait pas tort : « Si vous voyez un banquier suisse sauter par la fenêtre, suivez-le, il y a de l’argent à gagner ».

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– Commerce mondial

Le commerce mondial peut-il prospérer si l’Europe est en récession? Les exportations japonaises nous racontent quelque chose de plutôt préoccupant. Exportation du Japon vers l’Europe, -25,1% par rapport à l’an dernier à la même date. Balance commerciale du Japon fortement négative. Car il faut savoir que prêt de la moitié du commerce mondial est influencé par l’Europe.

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– Si seulement il suffisait…

Depuis quelques temps la Banque Centrale Européenne est le cœur de tous les espoirs pour sortir l’Europe de la crise actuelle. Draghi, président de la BCE, a fait son fameux discours il y a 4 semaines, promettant de faire tous ce qui serait nécessaire pour stopper l’hémorragie des capitaux au sud l’Europe,  et l’espérance gonfle tous les esprits.

Ce week-end, un article du Spiegel annonçait qu’un plan était en préparation pour limiter l’envolée des taux d’intérêts des pays en difficulté. L’idée centrale serait que la BCE intervienne, de manière illimitée s’il le faut, pour acheté de la dette lorsque personne n’en veut. Ceci est bien sûr contraire à son mandat. La BCE ne peut acheter de la dette d’état, même si elle fait déjà en masse, car cela revient à monétiser la dette émise, en somme à imprimer de la monnaie pour acheter cette dette. Mais tout est affaire de langage.

Si la BCE achète de la dette nationale pour réduire les coûts de financement d’un pays, celui-ci étant en difficulté dû à une mauvaise gestion, cela ne peut être accepté. Si elle dit que le différentiel de taux entre deux pays de la zone Euro ne résulte, non de politiques économiques désastreuses dans certaines régions durant les belles années, mais d’une perte de confiance dans la pérennité de l’Euro, alors elle agirait pour le « bien » de tous les pays de la zone et non pour l’un en particulier. Tout semble résolut. L’espoir gonfle.

Cela ne répond bien sûr pas à la question suivante. Comment l’Espagne, par exemple, va-t-elle devenir si compétitive qu’elle va pouvoir engendrer une balance commerciale positive envers les autres pays de l’Europe, lui permettant ainsi de renflouer son système bancaire et ses régions surendettées, de payer ses charges sociales sans produire des déficits, de créer des industries pour absorber le chômage endémique et se redonner un avenir ?

Mais il semblerait que la solution se trouve dans la BCE réduisant le taux d’emprunt de l’Espagne. Il semble qu’il suffise d’imprimer des billets, d’incanter la croissance et que tout est résolu.

J’imagine que je vais croiser Alice en sortant du bureau ce soir…

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